Parlez-nous de votre quotidien, en quoi consiste votre travail à la tête de la Maison du chocolat ?
Depuis 2007, je m’occupe du service de création de pièces artistiques et de pâtisseries. Nous sommes aujourd’hui une équipe de quatre personnes : une personne s’occupe de la partie pâtisserie et les deux autres de la partie chocolat. Moi, je chapeaute les deux. Nous fonctionnons ensuite sur trois axes de travail.
Lesquels ?
Un premier consiste à entretenir les classiques. La Maison du chocolat existe depuis plus de 40 ans, et compte certaines recettes iconiques créées par Robert Linxe. Toute la difficulté de cet axe est d’entretenir ces grands classiques, c'est-à-dire de les toucher sans les toucher, pour ne pas perturber la clientèle historique tout en attirant les nouvelles générations. Chaque année, on en modifie deux ou trois, pour les faire évoluer par rapport au gout qui, lui, évolue chaque année. En l’espace de 20 ans, par exemple, il a évolué vers des chocolats moins gras et plus cacaotés.
C’est la partie la plus classique de votre travail...
Tout à fait. Le second axe de travail consiste à créer les collections éphémères. Ce sont les recettes et coffrets spécifiques destinés aux fêtes récurrentes : la Saint-Valentin, Pâques, Noël, Halloween... Il y en a environ une dizaine par an. Pour cela, on démarre simplement d’une feuille blanche, puis on écrit une histoire, on crée des recettes. Mon travail consiste à sélectionner des matières premières et à me constituer une bibliothèque culturelle de goûts. Je m’inspire beaucoup de rencontres avec les fournisseurs pour créer. Par exemple, un fournisseur corse m’a donné, il y a quelques années, un échantillon de cédrat confit. Cela m’a beaucoup intéressé, je me suis déplacé pour le rencontrer et au bout de quatre jours j’avais un coffret sur la thématique de la Corse. J’emmagasine toutes ces saveurs, et je pioche dans cet univers pour concevoir les collections.
Dans notre métier, tout est permis !
C’est un travail de création est très lié au dernier axe de travail...
Effectivement, le dernier axe est comparable à un travail de recherche et développement. On ne se fixe aucune contrainte de temps et on ouvre des portes sur ce que pourrait être le chocolat de demain. Par exemple, nous avons conçu une gamme de chocolats salés en 2013 à base de cèpes, d’olives, d’oignons caramélisés. Ou encore, nous avons réalisé un coffret en collaboration avec un parfumeur, pour établir un parallèle entre un coffret de chocolat et le parfum Angel, de Thierry Mugler. Nous avons décortiqué le parfum et fait un chocolat qui correspondait à la note de tête, de cœur et de fond. Ce sont des coffrets de curiosité, pour faire vivre autre chose au consommateur, l’idée est de le transporter. Au niveau de la création, on sait quand on commence, mais pas quand on finit et si le projet débouchera sur quelque chose, mais on teste des possibilités, et c’est aussi ce qui nous inspire pour les recettes de demain.
Justement, votre métier nécessite un renouvellement perpétuel, est-ce difficile ?
Se demander vers où l’on va demain fait partie intégrante de mon travail. Il faut avoir le temps pour explorer, s’ouvrir à des univers différents des métiers de la gastronomie, tout ça ne peut que nous ouvrir à des nouveaux produits, et faire évoluer notre profession. Cela peut paraitre effrayant car nous allons dans des univers qu’on ne connait pas, on ne sait pas où on met les pieds. Il y a des moments où je ne sais pas ou je vais mais tout est permis, et c’est aussi ce qui fait la beauté du métier de chocolatier.
Vous qui exercez le métier depuis plusieurs dizaines d’années, avez-vous toujours des péchés mignons, des spécialités ?
Dans les chocolats, j’aime particulièrement un chocolat noir de cassis, sa particularité, c’est que j’ai fait une infusion au bourgeon de cassis qui permet d’avoir des notes florales dans un premier temps, puis des notes fruitées en fin de bouche. Pour les pralinés, j’ai réalisé les coffrets gourmandises, ce sont des pralinés moussés en forme de bâtonnets, comme des mikados, avec un travail à la fois sur la texture et sur la forme. Il s’agit d’un produit très addictif, qui fait partie de mes spécialités.
Être chocolatier, c’est avoir le temps d’explorer et de s’ouvrir à des univers différents des métiers de la gastronomie
Et si vous débutiez la chocolaterie aujourd’hui, dans quoi vous lanceriez-vous ?
Nous avons réalisé récemment une collection bien-être, où on est passé à du chocolat végétal : est-ce que c’est ça, le chocolat de demain ? Si j’avais 20 ans, en tout cas, et que je devais me mettre à mon compte, je ferai uniquement des produits végétaux. Je pense que toutes les versions fruitées des chocolats vont passer progressivement en version végétale : ça me parait cohérent que dans des ganaches aux fruits on puisse se passer de crème et de beurre. Et je pense qu’il s’agit du chocolat qui s’imposera dans les années à venir.